La natation est le 2ème sport le plus pratiqué en France. Chaque année, 25 millions de baigneurs se rendent dans les 16 000 piscines ouvertes au public que compte l’Hexagone. La majorité de ces bassins est traitée au chlore, produit de désinfection certes efficace, mais à l’utilisation trop souvent banalisée. Or, l’exposition au chlore entraîne des risques encore méconnus du grand public. Quels sont ces risques et qui concernent-ils ?
À quoi sert le chlore ?
Le chlore, un élément chimique puissant…
Dans le tableau périodique des éléments, le chlore, dont le symbole est Cl, est l’élément chimique de numéro atomique 17. Il appartient au groupe des halogènes. Le dérivé du chlore le plus connu et le plus usuel est le chlorure de sodium, c’est-à-dire le sel. Mais bien que ce dérivé soit inoffensif, il n’en est pas de même pour le chlore à l’état pur. L’élément chimique pur du chlore est le dichlore, qui se présente sous la forme d’un gaz jaune-vert extrêmement toxique. Sa nocivité lui a valu d’être utilisé comme arme chimique lors de la Première Guerre mondiale. En effet, le dichlore est un composant du gaz moutarde, qui provoque de graves brûlures et détruit le système respiratoire.
… aux utilisations très diverses
À l’heure actuelle, le chlore est présent dans de nombreux produits industriels : insecticides, colorants, dissolvants ou encore produits pétroliers. On le retrouve dans certains plastiques (PVC, néoprène) et il est aussi employé pour le blanchissement du papier. Enfin, le chlore est reconnu pour son action biocide, qui lui permet d’éliminer bactéries et microbes. Assemblés, le dichlore et la soude créent l’eau de Javel, dont les vertus désinfectantes sont connues. L’action biocide du chlore est utilisée notamment par les usines de traitement des eaux usées. Dans les réseaux de distribution, il sert à désinfecter l’eau et à la rendre potable. Il intervient aussi dans le traitement des eaux de piscine sous forme de galets, en poudre ou à l’état gazeux. C’est même le traitement le plus utilisé en France par les particuliers et les professionnels. Cette utilisation très répandue du chlore comme traitement de l’eau de piscine pose désormais question. Son efficacité et son coût peu élevé lui ont permis d’atteindre un quasi-monopole, mais qu’en est-il des effets néfastes ? Car le chlore est un produit fortement irritant, notamment pour les muqueuses et le système respiratoire.
Les chloramines, véritables ennemies de notre santé
Le mécanisme de formation des chloramines
Le chlore est utilisé pour lutter contre les bactéries, algues et champignons. Une fois dans l’eau, il va immédiatement commencer son travail d’élimination des matières organiques. Ces matières organiques sont apportées par les nageurs : produits cosmétiques, transpiration, salive, expectorations, urine, matières fécales. Les molécules d’oxygène du chlore vont se fixer sur ces matières organiques et tenter de les oxyder pour les éliminer. C’est cette réaction qui génère des molécules toxiques, les chloramines (ou chlore combiné). Celles-ci se forment par réaction chimique entre l’acide hypochloreux (chlore), l’ammoniac et l’azote présents dans l’eau de la piscine. Il existe différents types de chloramines : monochloramines, dichloramines, ou trichloramines. Ce sont ces substances gazeuses qui dégagent ce qu’on appelle improprement « l’odeur de chlore » sentie dans certaines piscines. Ce sont elles aussi qui sont responsables des irritations ORL et troubles respiratoires ressentis par les baigneurs. C’est d’autant plus problématique que ces gaz étant particulièrement volatils, on en retrouve de grandes quantités dans l’air ambiant. Mais la plus grande concentration de chloramines se situe à une dizaine de centimètres au-dessus de la surface de l’eau. Or, cette zone correspond exactement à la hauteur du visage des nageurs. Leurs yeux, leurs narines et leur bouche sont donc particulièrement exposés aux chloramines. Le risque est bien sûr plus important dans les piscines fermées, où l’air est moins bien renouvelé.
Hygiène de l’eau et émission de chloramines : un cercle vicieux
Contrairement à une idée reçue persistante, l’odeur forte présente dans certaines piscines n’est pas un signe d’excès de chlore. Au contraire, cette odeur « de chlore » est le signe d’une réaction chimique non achevée. Il reste des matières organiques à éliminer, ce qui signifie que le niveau d’hygiène du bassin est insuffisant. Claude Danglot, médecin biologiste et ingénieur hydrologue l’explique : « C’est un signe que la piscine n’a pas été désinfectée correctement. Il s’agit d’un déficit de chlore et non d’un excès, comme tout le monde l’imagine !» En effet, les chloramines perdent une grande partie de leur pouvoir assainissant en se combinant à l’ammoniac et à l’azote. Elles sont 60 à 80 fois moins efficaces que les molécules de chlore libre. Les piscines les plus fréquentées ont donc plus de risque d’avoir un taux de chloramines élevé. L’autre facteur déterminant est l’hygiène des baigneurs. Trop souvent, les règles élémentaires ne sont pas respectées : savonnage avant la baignade, pédiluve, port du bonnet… Ces mesures contribuent pourtant à briser le cercle vicieux de l’émission de chloramines. En effet, plus les baigneurs sont « sales », plus la quantité de chlore dans la piscine sera importante. L’ANSES* estime qu’un nageur actif transpire en moyenne 1 litre en 2 heures. Il faudra ensuite environ 7 grammes de chlore pour l’éliminer.
*Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
Pathologies liées au chlore : qui est concerné ?
Le personnel des piscines couvertes et les nageurs de compétition
Deux types de personnes sont particulièrement exposées aux chloramines : les travailleurs (maîtres-nageurs et personnel technique) et les nageurs professionnels. Plusieurs études médicales ont été menées en France et à l’étranger sur le sujet. Elles permettent d’acquérir une meilleure visibilité sur l’étendue des pathologies engendrées par les chloramines. Une étude de l’AFSSET* souligne qu’1/4 des travailleurs en piscine souffrent d’insuffisance respiratoire, d’irritations oculaires ou nasales dues aux chloramines. Pour ces travailleurs, rhinites et asthmes provoqués par les chloramines sont reconnus comme maladies professionnelles. Ils figurent au tableau des maladies professionnelles n°66 du régime général de la Sécurité sociale. Ce tableau est publié par l’INRS, l’Institut national de recherche et de sécurité. Une exposition ponctuelle, lors d’un accident de maintenance des systèmes de chloration ou de ventilation, peut également avoir des conséquences graves. Elle peut être à l’origine d’un syndrome d’irritation bronchique aiguë (RADS), du fait d’une destruction de l’épithélium bronchique.
Les nageurs de compétition souffrent eux aussi de diverses pathologies plus fréquemment que le reste de la population européenne. Parmi elles : symptômes respiratoires (toux, irritations de l’arbre respiratoire et oppression thoracique), asthme et allergies. Ainsi, il y a 2 fois plus d’asthmatiques chez les nageurs que chez les autres sportifs. À l’échelle de toute la population, il y a 4 fois plus d’asthmatiques parmi les nageurs de compétition. Aux Jeux olympiques de Pékin en 2008, presque 20% des compétiteurs étaient officiellement reconnus asthmatiques ou porteurs d’une bronchoconstriction. La championne olympique espagnole Mireia Belmonte cumule même asthme et allergie au chlore. En revanche, les nageurs en eau libre, évoluant dans un environnement non chloré, sont beaucoup moins touchés par ces pathologies.
* Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.
Le (jeune) public
L’exposition des enfants et des bébés aux chloramines soulève de nombreuses questions. En effet, leur système respiratoire immature les rend particulièrement sensibles aux effets du chlore et de ses dérivés. L’augmentation croissante des cas d’asthme et d’allergies respiratoires chez les jeunes européens est préoccupante. Plusieurs études épidémiologiques tendent vers la même conclusion. Il semblerait qu’une exposition régulière et prolongée aux chloramines puisse altérer progressivement la muqueuse bronchique. Les enfants ayant fréquenté des piscines chlorées avant 3 ans seraient ainsi plus sensibles aux acariens domestiques. Il en est de même pour l’asthme. Une étude publiée dans la revue médicale américaine Pediatrics fait le parallèle entre piscine et asthme chez les adolescents. Les résultats démontrent que les jeunes ayant fréquenté une piscine plus de 1000 heures souffrent beaucoup plus souvent d’asthme. Et ce risque est loin d’être négligeable : il est 10 fois plus fréquent. En ce qui concerne les bébés et les plus jeunes enfants, les chiffres sont également préoccupants. Le Professeur Alfred Bernard, de l’université de Louvain, a publié dans European Respiratory Journal une étude à ce sujet. L’étude portait sur 430 enfants en grande section de maternelle. Un premier groupe était constitué d’enfants ayant fréquenté les bébés nageurs plus de 20 heures avant leurs 2 ans. Dans le second groupe, les enfants avaient pratiqué l’activité moins de 20 heures, ou pas du tout. Les enfants du premier groupe avaient 4,4 fois plus de risques de développer une bronchiolite. Ce constat amène certains médecins à déconseiller l’activité bébé nageur. Ainsi, le Dr Eeckeleers écrit dans La Revue de la Médecine Générale : « La fréquentation de piscines chlorées est clairement à déconseiller, en tout cas de façon régulière dans la petite enfance. L’activité Bébé nageur doit être proscrite dans toute piscine utilisant les dérivés du chlore. »
Les effets du chlore sur l’environnement
Omniprésent dans notre quotidien, le chlore est utilisé dans de nombreux secteurs industriels. Ainsi, 33% du chlore produit est utilisé pour la fabrication du PVC et seulement 7% pour le traitement de l’eau. 96% des produits phytosanitaires contiennent du chlore. À l’échelle mondiale, la quantité de chlore produite chaque année est colossale : 89,6 millions de tonnes en 2020. Pour le seul mois de juillet 2021, la production européenne s’est élevée à 850 820 tonnes. Nous traiterons ici uniquement du chlore rejeté par les piscines, qui ne constitue qu’une partie de la pollution due au chlore.
Les piscines collectives sont tenues de vidanger leur bassin 1 fois par an et leurs pataugeoires 2 fois par an. À cela s’ajoutent les eaux usées des pédiluves et de lavage des filtres, qui sont vidangés de manière plus régulière. Ces rejets d’eau souillée et porteuse de produits chimiques sont néfastes pour l’environnement. C’est pourquoi il convient de procéder à un traitement de neutralisation du chlore avant de rejeter l’eau. Lorsque ce n’est pas fait (ce qui est souvent le cas), le chlore peut avoir un effet délétère sur l’écosystème. Tous les milieux sont concernés : terrestre ou maritime, en eau douce ou salée. Bien que les animaux ne stockent pas le chlore, celui-ci peut altérer leur système immunitaire et leur système respiratoire. En milieu marin, de faibles doses de chlore suffisent à empêcher, parfois définitivement, la photosynthèse chez certains phytoplanctons. De nombreuses rivières françaises sont contaminées par des rejets ou des fuites de chlore issus de piscines voisines. Le scénario est toujours le même : une odeur de chlore et des poissons flottant à la surface de l’eau. Les conséquences aussi sont similaires, avec des rivières décapées et un biotope qui va mettre des années à se reconstruire.
L’exposition au chlore et à ses dérivés peut donc entraîner de réelles pathologies, qui vont bien au-delà d’un simple inconfort. À la lecture des informations présentées dans cet article, une interrogation demeure : pourquoi cette problématique est-elle si peu évoquée ? Il s’agit pourtant d’un sujet pouvant concerner une grande partie de la population. Les études scientifiques sur le sujet sont relativement récentes, et méritent certainement un effort de vulgarisation afin d’être plus accessibles. Un vaste travail de prévention et d’information semble nécessaire, tout comme une réflexion sur les alternatives aux produits chlorés. Autant de solutions qui permettraient d’éviter les pathologies liées au chlore, tout en préservant l’environnement.
Sources
Risques sanitaires des piscines à usage collectif
Emmanuelle Penven, Centre de consultation de pathologies professionnelles, CHU de Nancy. Affections respiratoires professionnelles non infectieuses chez les personnels de piscines et centres de balnéothérapie. 2013 – Références en santé au travail – n°136.
Dr Patricia Eeckeleers. L’impact respiratoire du chlore des piscines. La Revue de la Médecine Générale – n°274 – juin 2010.
Nickmilder M, Bernard A. Ecological association between childhood asthma and availability of indoor chlorinated swimming pools in Europe – Occup Environ Med 2007
Dr Virginie Sablayrolles, pneumo-allergologue pédiatre. Le chlore des piscines des bébés nageurs favorise-t-il l’asthme du nourrisson ? 2015, CHU Toulouse.
Question à l’Assemblée nationale. Pollution de la ressource en eau liée aux rejets des piscines
À la piscine, plongez dans le slip de vos voisins
Le chlore est-il dangereux pour les baigneurs ?
Le Monde. Cheveux, peaux mortes, sueurs et autres délices trouvés dans nos piscines
Le Parisien. Rio 2016, natation : allergique au chlore et championne olympique
Le Figaro. Les piscines chlorées entraînent-elles des risques respiratoires ?
Wikipédia. Chlore; Gaz moutarde ; Chloration
Futura Science. Le chlore
Ministère des Armées. Le saviez-vous ? Le gaz moutarde
Le marché du chlore en transition
L’élémentarium. Tableau périodique dichlore